Des harengs aux cerises

Régine Poloniecka

Robert Laffont

  • Conseillé par (Libraire)
    24 février 2021

    Curieux itinéraire que celui de cet ouvrage trop longtemps remisé, comme une voix clairvoyante et étouffée qui peine à se convaincre de sa propre légitimité. De mésaventures éditoriales en renoncements nourris par l’humilité radicale de son auteure de 84 ans, il a même bien failli ne jamais voir le jour. Mais c’était sans compter sur la force et la générosité de ces textes.

    Ces récits autobiographiques sont nourris de la douloureuse mémoire du furieux XXème siècle. S’y affrontent l’expérience fondatrice de la petite fille rescapée du ghetto de Varsovie et l’engagement du médecin attentif à toutes les souffrances. Écrire depuis soi n’est ici que le signe de l’attention à l’autre. En aînée bienfaisante qui s’efface jusqu’à l’abnégation pour nous partager la malice de son regard et laisser doucement entrevoir les meurtrissures de son âme survivante, Régine Poloniecka participe à notre libération. Nous sommes soufflés par son intelligence et son empathie, bousculés jusqu’aux larmes par cette âpre fantaisie qui veille sur les cœurs déchirés et que l’humour couronne toujours de son empreinte.

    Ce sont des histoires à l’envers, à l’endroit, traversées au dehors comme au dedans par la lumière des rencontres et le poids des séparations. Au dehors, ce sont les voyages et les retours. À Alonissos, en mer Égée, à Jérusalem, Nahariya, Auschwitz et Varsovie, rue des Rosiers et de la Tombe Issoire, à la bibliothèque du Museum d’Histoire Naturelle, derrière le Jardin des Plantes, ou de l’autre côté du périphérique. C’est aussi le souvenir des langues apprises ou oubliées, les merceries qui n’existent plus, et le Bazar de l’Hôtel de Ville qui, lui, vit toujours.

    Au dedans, l’appartement solitaire, à la fois cellier, frigidaire, commode, jardin d’hiver et bibliothèque. On y régale les amies de passage et les petits-enfants, on y prépare les harengs à toutes les sauces, on y apprend la botanique à partir des cerisiers, on y parle aux plantes qui aiment l’envahir, on y coud, on y reprise, on y lit beaucoup, on y écrit souvent.

    Nous voici recevant à foison et remerciant un livre qui, au lieu de parler, prend au contraire le temps d’écouter.